WILL IT KEBAB ?
Faire döner
"Will it kebab ?" est une expérience artistique, scientifique, sociale et collective qui se déploie à l'Université de Lille.
Elle consiste en la conception, la réalisation et la distribution gratuite d'un sandwich type kebab à la viande de mammouth simili-carnée (d'origine végétale).
Ce sandwich à base de pain au levain contiendra également une sauce piquante et des condiments fermentés créés pour l'occasion.
Le projet se fonde sur la rencontre avec différents acteurs du territoire universitaire, s'appuyant sur la diversité humaine, la pluralité des expertises et des contextes, qu'il s'agisse de lieux culturels, d'action sociale ou d'enseignement.
A la convergence de l'anthropologie, de la paléozoologie, de la sociologie, du design culinaire, du marketing et de la solidarité, "Will it kebab ?" se propose aussi d'inventer des moments d'échanges, de transmission de savoir-faire et d'attention.
Pourquoi le kebab ?
Sandwich iconique de la culture populaire et plat incontournable de l'alimentation étudiante, il est d'une certaine façon ancré dans la culture de l'humanité depuis des lustres, les plus anciennes traces de pain pita (pain plat) au Moyen-Orient remonteraient plus de 14 000 ans. S'il constitue aujourd'hui un objet politique polarisant, son statut de symbole culinaire lié à l'immigration ouvre un champs de questions tant liées à ses représentations populaires, qu'à l'histoire mondiale de l'alimentation, ses communs et ses particularismes, aux perspectives de la végétalisation d'un sandwich carné, aux projections entrepreneuriales qui pourraient en découler etc.
Pourquoi le mammouth ?
Animal iconique de la culture populaire, il symbolise à lui seul la mégafaune qu'ont pu côtoyer nos lointains ancêtres. Sa résurrection (désextinction) est aujourd'hui au centre de l'attention de certaines des plus grosses entreprises mondiales spécialisées dans l'édition génomique. Bénéficiant du capital sympathie de l'éléphant, peut-être aussi de la sagesse que l'on attribue au grand âge, il connote tant l'abondance de nourriture potentielle qu'il représente la résilience dans des fictions populaires qui l'associent à la survie dans un "monde glacé". Nous entretenons avec cette espèce une relation particulière :
Les représentations populaires en font l'adversaire éternel, le gibier ultime d'un monde préhistorique dominé par les hommes et centré autour de la chasse et de la figure héroïque du chasseur alors que la cueillette était la source d'alimentation largement dominante (La théorie de la Fiction-Panier, Ursula K.Le Guin).
Ce mammouth donc, dont "nous" serions partiellement responsables de l'extinction cristallise, d'une certaine manière, à la fois une culpabilité dans notre rapport au vivant et notre appétit inassouvi de "jouer à Dieu".
Will it kebab ? Pourquoi cette question ?
Imaginons que l'on puisse faire kebab comme "l'on fait flores", c'est-à-dire de rencontrer le succès, être couvert de fleurs. On pourrait aussi se contenter de faire kebab "de tout", comme l'on fait feu de tout bois. Faire kebab donc, pourrait désigner une forme de réussite d'un projet, entrepreneurial ou pas.
Un projet tangible et abordable, qui prendrait ses racines dans le passé et qui pourtant écrirait son histoire au présent.
Faire kebab du mammouth, c'est de par son extinction, instantanément basculer dans la spéculation, la fiction. C'est aussi une volonté de participer à l'écriture de nouvelles représentations populaires du monde, de nouvelles histoires contribuant à la prise en charge des changements de paradigmes qui sont à l'œuvre aujourd'hui.
C'est aussi faire, savoir faire, et inventer des formes de partage de ces savoir-faire.
"Will it kebab?" est mené dans le cadre de la résidence mission A.R.T.U. à l'Université de Lille par l'artiste Hugo Kostrzewa ainsi que l'équipe de la direction culture.
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... Néandertal parcourait probablement la steppe à mammouths, suivant les troupeaux qui se déplaçaient au gré des variations climatiques qui caractérisent le Pléistocène.
virus
les migrations
climatiques
Néanderthal
l'ultra-carnivore
Les chercheurs Sergei et Nikita Zimov travaillent depuis les années 1980 sur une zone de la toundra dans laquelle ils ont réintroduit certains animaux du Pléistocène, comme des rennes, des bisons, des chevaux Yakut, et ont simulé le passage de mammouths à l'aide de chars russes.
Ils ont découvert que la présence et le piétinement de ces animaux favoriseraient la croissance des graminées des steppes.
Ces plantes de couleur claire reflètent la lumière du soleil dans l'atmosphère comme un miroir, réduisant la chaleur absorbée dans le permafrost jusqu'à 9.4°C, ce qui ralentirait significativement sa fonte.
Selon le paléobiologiste Tori Herridge, cette efficacité serait très hypothétique : "il faudrait non pas un troupeau de mammouths laineux, mais des centaines de milliers de mammouths pour produire un effet sur le climat, à supposer que nous comprenions parfaitement le rôle de cet animal dans l'écosystème."
Cette question en appelle inévitablement une autre : faut-il recréer le mammouth ?
Selon la communication de l'effrayant projet Colossal lié à George McDonald Church, généticien de l'université de Harvard , le mammouth serait bientôt prêt à fouler la steppe à nouveau. "Nous avons l'ADN, la technologie et les meilleurs experts du domaine."
Il y a aussi les recherches menées par le sulfureux laboratoire coréen Sooam Biotech plus connus pour son activité de clonage de chiens.
Au-delà des aspects scientifiques et économiques liés à la faisabilité d'un tel projet, il y a surtout des questions éthiques concernant tant les souffrances animales que les priorités de la science.
Nous avons discuté mammouth, glaciations et cuisson basale avec Patrick Auguste, paléozoologue, chargé de recherche au C.N.R.S. et amateur de bonne chair.
rencontres / dégustations
dans les épiceries solidaires de l'université de lille
Il y avait entre autres, un assortiment de sauces piquantes lacto-fermentées, des condiments à base du champignon koji et de larges chips artisanales : de quoi entamer des conversations.
à l'épicerie solidaire AGORAE
à la Moulinerie
à l'épicerie solidaire La Campusserie
recueillir la parole,
causer piment, sensations, plaisir & douleur,
cuisine maison, épices manquantes...
Le piment enflamme, polarise, attise la curiosité, peut faire peur...
Peu ou pas connus, ses effets révèlent la part de subjectivité pure présente en chacun d'entre nous.
Qu'on les nomme "morsure du serpent" ou "baiser du dragon", ces sauces nous renvoient à notre capacité à accueillir l'inconnu.
La sauce au citron et celle à l'arôme fumé ont été de loin les plus plébiscitées.
Ces séances de dégustation initient une prise de contact avec les bénévoles et les étudiants bénéficiaires des épiceries solidaires.
Autour de ces chips et de ces sauces piquantes, nous présentons également le projet will it kebab ? dans ses grandes lignes.
les étudiants intéressés sont re-contactés en vue de participer aux futurs ateliers de transmission.
Le levain du juste pain naîtra des mains du Doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de lille Moulins.
protocole initial
pour
un juste pain
favoriser Ses conditions d'émergence
en captant levures sauvages et bactéries lactiques dans les lieux symboliques de LA FACulté des sCiences juridiques, politiques et sociales de lille moulins
Jour 1 (20 g de farine de seigle + 20 g d’eau) Placer le bécher sur la balance et la mettre en marche. Le bouton TARE fait office de remise à zéro. Dans le bécher, déposer à part égales 20 gr de farine et d'eau. Mélanger vigoureusement à l'aide de la petite spatule de bois, de manière à y incorporer de l'air, jusqu’à obtention d' une pâte homogène. Laisser la spatule dans le bécher, et couvrir de l'étoffe. Laisser reposer 24h à température ambiante. |
jour 2 (ajout de 40 g de farine de seigle + 40 g d’eau) Comme la veille, ajouter et mélanger vigoureusement farine et eau dans le bécher. Couvrir de l'étoffe et laisser reposer le levain 24h à température ambiante. |
Jour 3 (ajout de 80 g de farine de seigle + 80 g d’eau) De petites bulles pourraient commencer à être visibles sur les côtés, c'est le signe que la colonie bactérienne est à l'œuvre et en bonne santé. Comme précédemment, ajouter et bien mélanger farine et eau dans le bécher. Couvrir de l'étoffe et laisser reposer le levain 24h à température ambiante. |
Le levain du juste pain poursuivra sa croissance dans plusieurs lieux symboliques de la faculté, notamment le plus grand des amphithéâtres, les locaux associatifs, la salle des actes ainsi que la salle du chevalier saint georges.
Nous essayons de capter un écosystème fermentaire complexe, contenant entre autres :
Saccharomyces cerevisiae • Saccharomyces exiguus • Candida milleri • Torulaspora delbrueckii • Lactobacillus plantarum • Lactobacillus brevis • Lactobacillus sanfranciscensis • Lactobacillus pontis, L.panis • Pediococcus sp • Leuconostoc sp •...
RECHERCHES en VIANDE ANALOGUE DE MAMMOUTH
Une des voies possibles pour réaliser un simili-carné est en même temps l'une des plus anciennes : la légende attribue à des moines bouddhistes chinois l'invention du "miàn jīn" 面筋 (« pâte » + « tendon ») un substitut de viande à base de gluten. On le retrouvera dans toute l'asie sous diverses appelations, et plus généralement popularisé depuis les années 1960 sous le nom japonais de "seitan".
L'idée n'est pas tant de tenter de reproduire une expérience proche du réel que de se délecter de la fiction d'un mammouth imaginaire, un mammouth mental en somme.
avant la cuisson
le mammouth mental peut se permettre le paradoxe d'avoir des poils poussant à même la chair. Ici, il est roulé dans un mélange de mousse noire, de graines de chanvre broyées et de poivre blanc.
Le Koji, aspergillus oryzae, ici sur un substrat de riz
ATELIERS DE TRANSMISSION
un kimchi comme un paysage de saison, et le temps n'est pas au beau fixe.
Un assemblage de visible et d'invisible, d'un peu de nous, de ce que nous portons, sur nous et en nous.
La diversité de nos cultures
- bactériennes et autres -
sera la force de notre kimchi.
entre nos mains, le chou salé se fatigue mais pas l'ardeur de nos luttes.
Violet en est ce soir la couleur.
2 litres de piments habanero lacto-fermentés et 2 heures devant nous, il n'en fallait pas plus pour créer cette série de sauces piquantes.
enfin si :
jus de mangue, jus de cerise, fanta, cacao, ail, gingembre, oignon, vitamine B2 qui réagit aux ultra-violets, spiruline bleue, vinaigre balsamique blanc, arôme de fumée, arôme de truffe....
affichageS
distributions gratuites
remerciements
Un projet comportant autant de ramifications n'est pas simple à mettre en place, en particulier dans un monde universitaire bouleversé par les mouvements sociaux et les luttes auxquels nous sommes sensibles. Merci infiniment à Vincent Fourniquet et Audrey Bosquette pour leur coordination au poil - une main de fer dans un gant de mammouth - à la qualité de leur écoute et des échanges que nous avons pu avoir.
D'énormes mercis aussi à Thomas Ferreira et Lina Merad pour leur soutien sans faille, leur présence et leur professionnalisme.
Merci à tout ceux qui ont participé de près ou de loin aux ateliers de dégustation et de transmission : les discussions que nous avons eu ensemble ont contribué à nourrir le projet.
Je remercie également toute l'équipe de la direction culture, de la communication qui aura relayé chaque évènement, et aussi particulièrement la grande équipe des épiceries solidaires et la DDRS qui nous ont réservé, à chaque fois, un accueil chaleureux et soutenu nos actions.
Mes remerciements sincères vont aussi à tous ceux qui nous ont dit oui, enseignants, chercheurs, doctorants, agents, étudiants et qui ont accepté de donner quelques minutes ou quelques heures de leur temps pour échanger et avancer avec nous dans la steppe.
Merci à l'Imprimerie de l'Université et à son équipe pour leur patience et leur soutien technique irréprochable. Merci aussi aux régisseurs techniques et aux techniciens qui partout où nous sommes allés se sont montrés compréhensifs et efficaces.
Et merci à toutes les personnes assez curieuses, et/ou courageuses pour avoir gouté de bon cœur ce fameux mammouth dont il a été tant question.